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03-09-2012        Le Monde Diplomatique

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Il est malaisé de définir la démocratie participative, car cet horizon — à l’image de l’utopie décrite par l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano (1) — s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche. Il s’agit d’impliquer les habitants dans les décisions publiques, à travers divers pratiques et instruments qui en font des acteurs plus mûrs et donc mieux à même de coopérer. Ce faisant, il ne faut pas craindre les conflits, mais au contraire leur offrir des espaces où la confrontation les rend féconds et non plus stériles.

Le politiste espagnol Pedro Ibarra dépeint la démocratie participative comme le croisement de deux modalités complémentaires : d’abord, la « participation par irruption », liée aux protestations, occupations et autres revendications du droit de chacun à peser sur les décisions publiques ; et la « participation sur invitation », dans des arènes et autres espaces formels concédés par les institutions aux citoyens afin qu’ils s’expriment sur la gestion du territoire et les valeurs qui doivent inspirer les lois comme les politiques (2). Pour évaluer l’intensité de l’interaction entre habitants et institutions, la sociologue américaine Sherry Arnstein a élaboré en 1969 une « échelle de la participation », représentant la capacité de produire de l’empowerment — autrement dit d’offrir de nouvelles connaissances et, en même temps, de donner aux citoyens le pouvoir réel de décider (3).

Les processus de participation ont pour objectif de peser sur la transformation de la réalité et de ses représentations à partir d’actes de pression, de résistance et de dissidence. Le professeur de sciences politiques espagnol Joan Subirats décrit ces dernières comme des pratiques « limites » capables de créer de « nouveaux imaginaires sociaux » et de nouvelles visions de l’avenir (4). Mais les réseaux de décroissance, d’économie solidaire et de commerce équitable en témoignent : de telles expérimentations impliquent des renoncements personnels qui ne sont pas secondaires ; c’est pourquoi elles ne sauraient être le propre d’une minorité. A l’instar de ce qui se passe avec les « indignés », ces formes de participation auto-organisée produisent souvent des résultats incertains, visant moins à modifier immédiatement les politiques et les projets qu’à stimuler des transformations culturelles à long terme, créant l’embryon d’une nouvelle société.

Objectifs locaux

Les formes de « participation sur invitation » ne donnent pas, elles non plus, de résultats garantis. Mais, nées d’un pacte social, elles disposent naturellement d’objectifs et de champs de manœuvre bien définis, sur la base desquels les citoyens décident d’adhérer au processus. Leur aboutissement dépendra d’une combinaison de facteurs : la clarté des objectifs, la volonté politique, le soutien dont bénéficie l’initiative, la qualité de la discussion, la cohésion et la maturité des tissus sociaux, l’architecture du « parcours participatif » (y compris les structures de médiation et les techniques de facilitation), ainsi que les réactions suscitées à chaque phase.
Si des ambitions excessives peuvent nuire au parcours participatif, sa marginalité par rapport aux institutions et le risque d’insignifiance en termes de résultats concrets risquent de démotiver beaucoup d’habitants : leur défiance à l’égard des institutions les pousse en effet déjà au désintérêt pour les formes de participation active, qui leur semblent dépourvues d’influence (5).

La majorité des expériences intéressantes de démocratie participative se fixent des objectifs locaux. C’est le cas de la planification participative dans le Kerala indien et dans le Río Grande (sud du Brésil), mais aussi d’expériences en cours dans le Latium et en Toscane (Italie), ou encore en Poitou-Charentes (France), qui toutes concernent des thématiques sectorielles particulières. En Europe, toutefois, cette idée tarde à s’enraciner : comme si l’Etat, ne croyant pas à la capacité de ses habitants à prendre des décisions solidaires avantageuses pour les catégories les plus faibles, conservait le monopole de la justice et de la diffusion du bien-être.

De nombreux facteurs n’en expliquent pas moins l’origine de cet « impératif délibératif » : d’abord, la complexification et la fragmentation de la société rendent plus difficiles l’identification et le recensement des besoins ; ensuite, la conscience accrue des droits augmente les conflits ; la crise du néolibéralisme accentue par ailleurs l’urgence d’une redistribution plus juste des ressources ; et enfin, la multiplication des techniques permettant d’améliorer la qualité de la vie rend plus ardu de choisir parmi elles (6).

Selon Pippa Norris, professeur de politique comparée à l’université Harvard, le déficit démocratique (l’écart entre la réalité de la démocratie et les aspirations citoyennes) découle de la crise éthique de la classe politique, dont les gaspillages, les privilèges et les abus suscitent désenchantement et hostilité (7). La modernisation sociale accentue aussi cette reconquête, dans la mesure où elle a rendu les citoyens critiques plus exigeants. Tout cela influe sur la perception de la légitimité des institutions, et converge vers une « construction sociale de la réalité » de nos démocraties.

L’expérience islandaise

Dans une telle situation, la perspective d’une intégration des instruments de démocratie directe dans le système représentatif devient indispensable. Cet esprit du temps, une décision de la Cour constitutionnelle italienne de juillet 2012 l’a bien exprimé en défendant le résultat des référendums abrogatifs de 2011 (contre la privatisation forcée de certains services publics) : le gouvernement prétendait contourner la volonté des électeurs en présentant lesdits référendums comme des « conseils aux législateurs ».

Désormais, les instruments qui donnent corps à la démocratie participative apparaissent très variés. Outre ceux, traditionnels, de la démocratie directe (référendums, plébiscites, initiatives législatives populaires, scrutins destinés à révoquer des mandats), d’autres, moins formels, voient le jour : centrés sur la qualité du débat argumenté entre institutions et individus, ils s’appuient sur des jurés citoyens ou des enquêtes délibératives grâce auxquelles de petits groupes sociologiquement représentatifs approfondissent certains thèmes.

Recourant à la méthode de la « porte ouverte », d’autres expériences accueillent quiconque veut y prendre part. En témoignent, aux Etats-Unis, les forums civiques de l’Agenda 21 ou les bilans participatifs organisés dans plus de mille cinq cents villes (dont New York et Chicago), mais aussi les réunions où les habitants discutent du système de santé ou encore de la reconstruction après le passage de l’ouragan Katrina.

En Islande, après la crise de 2008, le mouvement popu-laire a imposé un large spectre de « parcours participatifs » à grande échelle. Celui de Reykjavík s’est doublé d’une réécriture collective de la Constitution en deux phases : aux débats entre citoyens a succédé une commission de vingt-cinq d’entre eux élus nationalement. Bien que finalement bloquée par le Parlement, l’expérience reconnaît la nécessité d’un « parcours constituant commun » pour refonder la confiance dans les institutions.

Pour accepter l’imperfection et les limites des processus participatifs, il convient d’éviter de les juger à l’aune d’idéaux abstraits et irréalistes, ou d’exemples plus radicaux mais sortis de leur contexte (8), et de se poser cette question : une expérience de ce type — même incomplète — élève-t-elle le niveau de démocratie ? En fait, c’est dans cette confrontation avec l’« avant » que chacune de ces expériences révèle sa valeur et confirme que les efforts fournis en valaient la peine.

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(1) Editorial, «  Le temps des utopies  », Manière de voir, n° 112, août-septembre 2010.
(2) Cf. Igor Ahedo et Pedro Ibarra, Democracia participativa y desarrollo humano, Dykinson, Madrid, 2007.
(3) Sherry R. Arnstein, «  A ladder of citizen participation  », Journal of the American Planning Association, University of California, Los Angeles, juillet 1969.
(4) Joan Subirats, «  If participatory democracy is the answer, what is the question  ?  », Eurotopia, n° 5, Bandau (Allemagne), septembre 2008.
(5) Cf. Leonardo Avritzer et Boaventura de Sousa Santos, «  Para ampliar el canon democrático  ».
(6) Cf. Loïc Blondiaux et Yves Sintomer, «  L’impératif délibératif  », Politix, vol. 15, no 57, Paris, 2002.


 
 
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